Carnet de route

Guerre 1914-1918

 

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Lucien Guenser

 

79ème RI, 120ème BCP,

19ème bataillon de chasseurs à pied.

 

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Voir l’original du cahier de Lucien

 

Voir les documents originaux annexés

 

Préambule

      Nous avons choisi de vous reproduire à l’authentique le texte du carnet de route de guerre rédigé par notre grand-père Lucien. En le dactylographiant, nous l’avons accompagné d’illustrations et de commentaires pour vous rendre la lecture plus vivante. Nous l’avons également conservé avec les quelques fautes d’orthographe et le style, tels que Lucien l’avait rédigé.

      Nous avons réalisé ce document en souvenir de ce grand-père qui a participé physiquement et activement avec deux séries de blessures aux batailles de Morhange, Verdun, des Vosges, aux Chemins des Dames et de la Somme…

      Nous ne l’avons pas connu car il est mort bien trop tôt avant nos naissances (à l’exception de Danielle, Bernard et Claude) mais sa mémoire nous a été transmise par notre grand-mère Lucie et nos parents. Au travers de ce cahier, nous avons pu partager avec lui ses souffrances, ses angoisses, son courage et son combat. Ce témoignage nous permettra de garder de lui un souvenir fort et une affectueuse pensée.

Bonne lecture,

              Les petits-fils de Lucien réunis :

-Hervé pour la dactylographie,

-Jean-Luc et Michel pour l’illustration,

-Pascal pour la gestion Internet et la réalisation

           

       

      Nous associons également les petits-enfants de Lucien :

 

Alain, Anne, Béatrice, Bernard, Danielle, Christine, Claude, Florence, Isabelle, Lionel, Myriam, Murielle, Patricia, Sylvie, Thierry et Véronique

 

      Lucien intègre le 120° Bataillon de Chasseurs à Pied le 12 août 1915 après avoir été blessé une première fois, le 12 août 1914, prés de Lunéville, lors de la bataille de la Trouée de Charme.

       

      II avait été mobilisé le 31 juillet 1914 au 79° Régiment d’Infanterie de Nancy. Celui-ci faisait partie de la 11° Division d’Infanterie, la « Division de Fer », elle-même intégrée au XX° Corps d’armée commandée en août 1914 par le général Foch, futur généralissime des armées alliées en 1918.

 

      A la dissolution du 120ème BCP le 5 mai 1919, Lucien est finalement versé au 19ème BCP jusqu’à sa libération définitive, le 19 juillet 1919.

 

      Entre son service militaire de deux ans effectué de 1910 à 1912 et la durée de la guerre, Lucien aura passé prés de sept années sous les drapeaux.  

 

QUELQUES INFORMATIONS SUR L’ARMEE FRANCAISE EN 1914

      Le corps de bataille de l’armée française (commandant en chef, le général Joffre) est dans sa quasi-totalité déployé dans l’est, face à la frontière allemande. Cinq armées de 300 000 hommes environ ont été constituées.

      L’une d’entre elles, la deuxième d’armée (général Castelnau), forte de 323 445 hommes (et accompagnée de 110 000 chevaux), est composée de cinq corps d’armée : les 9°, 15°, 16° et 20°corps (dont fait partie le 79° RI).

Effectifs théoriques de 1914 :

 

      1 Corps d’armée : 40 000 hommes

      1 Division : 16 000 hommes

      1 Régiment : 3 300 hommes

      1 bataillon : 1000 hommes (1700 pour les Bataillons de Chasseurs à Pied)

      1 compagnie : 250 hommes

 

 

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Un mot d’Aimé, le fils aîné de Lucien :

 

    Ce cahier a été écrit par Lucien (mon père). Il est né le 29 septembre 1889 à Manonville. Il est le fils unique de Louis Guenser et de Suzanne Turck sa mère décédée avec son bébé lors de l’accouchement de son deuxième enfant. Remarié avec Marie Turck sœur ainée de feu son épouse vers 1894, c’est celle-ci qui éleva Lucien.

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    Il avait été appelé en 1910 sous les drapeaux à Nancy pour 2 ans jusqu’en 1912. En Août 1914, Lucien fût mobilisé à Nancy pour participer à la grande Guerre de 1914-1918 dans l’infanterie au 79ème toujours à Nancy puis par la suite, comme il l’a écrit, il fut versé au 120ème Bataillon de chasseur à pied et à d’autres en cours de guerre. Je ne ferai aucun commentaire sur les faits de guerre, mais j’ai entendu ses témoignages de nombreuses fois au cours de ma jeunesse et il me semble que ses écrits sont loin d’établir tous les moments affreux qu’il dû supporter avec un courage inouï, se satisfaisant bien modestement d’être encore en vie à l’armistice.

    Ce cahier, je l’ai relu en novembre 2013 avec toujours autant d’émotion. Cette relecture me rapproche encore un peu plus du souvenir que je garde de mon père, souvenir affectueux et plein de reconnaissance pour cet homme de devoir qui a disparu bien trop tôt le 15 janvier 1953.

Aimé Guenser

 

 

 

Avertissement de Lucien :

Ce petit ouvrage est un résumé de la campagne 1914-1918. Il a été copié sur des originaux qui sont toujours en ma possession. C'est au jour le jour que je les ai composés le plus souvent les pieds dans la boue et les doigts tremblants de froid. C'est un aperçu sommaire des souffrances que j'ai endurées durant cette longue et terrible campagne.

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      Ce carnet de route n'ayant été commencé que le 12 août 1915, je vais très brièvement rappeler quelques épisodes du jour de la mobilisation à cette date.

J'ai été mobilisé dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1914 pour me rendre à la caserne Molitor à Nancy au 79° Régiment d'Infanterie.

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Après avoir été habillé et équipé, je rejoins le régiment qui était à Seichamps depuis deux jours.

Détails du front en Août 1914 Nancy, Lunéville, Grand Couronné et Morhange

Après avoir cantonné successivement à Laneuvelotte, Montenoy, Leyr, Buissoncourt, mon régiment prend une part active à notre première offensive en Lorraine.Image 26

C'est le 14 août que je reçu le baptême du feu devant Réchicourt. Pour la première fois, les bôches nous ont servi plus qu'à souhait. Après bien des péripéties devant lesquelles je ne veux pas trop m'étendre, nous arrivons dans la nuit du 19 au 20 devant Morhange ou plus exactement devant Lidrezin [Lidrezing], village que nous prenons à la baïonnette entre onze heures et minuit. Comme par un heureux hasard, m'a compagnie est désignée pour conduire à l'arrière 80 à 100 prisonniers que nous avions fait.

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Ce fut pour nous notre bonheur à tous, car de notre bataillon qui était engagé depuis le matin, il n'est revenu que 70 rescapés commandé par le chef de la 3ème compagnie Toulouze.

Vers onze heures du matin, tout le régiment bat en retraite. Après une longue et pénible marche, et toujours sans ravitaillement, nous arrivons à Vic [sur-Seille] à la nuit tombante le 20 août. Au bout d'une heure de repos, nouvelle alerte, nous prenons la route d’Arracourt qui était encombrée à un tel point qu'il fallait passer dans les fossés.

A l'entrée d'Arracourt, pause de deux heures pendant lesquelles nous dormions sur nos sacs. Au petit jour nous cantonnons dans le village, moi j'étais en face de l'église. Nous y sommes restés jusqu'à deux heures de l'après-midi. Le 21 août il a fallut continuer à battre en retraite. Nous arrivons à Rosières-aux-Salines le 22 au matin, exténué de fatigue. Après quelques heures de repos sur la place de l'église, nous continuons la route pour aller cantonner à Coyvillers pour nous y reformer et aussi pour nous reposer, nous en avions grand besoin. Le 24 alerte, nous revenons à Rosières, le traversons ainsi que la Meurthe que nous franchissons sur un pont volant, l'autre étant sauté.

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Après deux jours de va et vient, nous arrivons en vue du Léomont le 26 vers midi. Mon régiment relève le 26° de ligne. Nous sommes en plein dans la fournaise. Les mitrailleuses bôches nous tirent depuis la ferme St-Evre en avant de Vitrimont.   Image 2Image 21

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     Au moment de la charge à la baïonnette, je me sens blessé au pied gauche. Je me retire de la ligne de feu. J'avais à peine fait 200 mètres que de nouveau je ressens un choc violent à l'épaule droite. Mon bras tombe inerte et je n'étais pas encore en sécurité.

OLE - object!     Deux camarades m'aident à gagner Vitrimont où des infirmiers me font les premiers pansements qui furent très douloureux. A la nuit, une ambulance me conduit à Hudiviller dans une grange.

     J'y passe la nuit et le lendemain, une autre ambulance me conduit à St- Nicolas. Là je goûte un peu de bouillon chaud. Dans le courant de la journée une auto me conduit à Jarville où un train sanitaire était en formation. Je souffrais mais j'étais très heureux de m'éloigner de la ligne de feu. Le 29 à trois heures de l'après-midi je débarque à Orléans où un accueil chaleureux nous était réservé.

     J'étais soigné dans une institution de sourds et muets tenue par des religieuses lesquelles m'ont prodigué leurs soins avec beaucoup d'empressements. Le major s'appelait Baudin et était conseiller général du Loiret.

     Le 8 octobre, j'en sortais pour une convalescence de deux mois à passer chez Monsieur le général Trémeau qui habitait le château de Beau-Desert à six kilomètres de Briare.

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(Le château de Beau-Désert où résida Lucien lors de sa convalescence en 1914, il fut entouré par le Général Trémeau en retraite et de sa bonne dont il apprécia fortement leur bonté.)

Commentaire de Jean Luc :

Coïncidence : le 29 Août 1914, alors que Lucien arrive en convalescence à côté d’Orléans, le 13 septembre son régiment est en repos à Minorville à 1,5km de Manonville.

Là je fus entouré des plus petits soins par tout le personnel du château. Le 8 décembre, à mon très grand regret, il fallut quitter cette vie seigneuriale pour aller rejoindre le dépôt de convalescents d'Auxerre. J'étais à peu près rétabli mais la marche me fatiguait énormément. Je suis resté à Auxerre jusqu'au commencement de 1915, date à laquelle j'obtenais une permission de sept jours pour Nancy, n'ayant pu l'avoir pour Manonville.

Image 1(Les parents de Lucien : Louis Guenser et son épouse Suzanne)

Après beaucoup de difficultés, j'ai pu réussir à arriver pour passer deux jours à Manonville. De là, j'ai rejoins Nevers, dépôt de mon régiment. J'y suis resté trois mois, et le dépôt est parti pour Decize. J'y suis resté jusqu'au 12 août 1915, date à laquelle je quittais le 79° pour passer au 120° bataillon de chasseurs.

C'est donc à cette date du 12 août 1915 que commence la copie de mon cahier de route.

 

 

 

Année 1915

Le 120°- La bataille des Vosges

Août 1915

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Le 12 août j'ai quitté le dépôt du 79° d'infanterie à Decize. J'ai passé cinq jours à Givry, dépôt du 4° bataillon de chasseurs pour y être habillé. J'ai embarqué le 12 à Châlons-sur-Saône. J'ai passé à Dijon, Gray, Epinal, et je suis descendu à Anoult, petit village des Vosges où le 120° B.C.P. était cantonné. Je suis affecté deux jours à la 4° compagnie avec mon camarade Join pour caporal. Après, je passe à la 1ère compagnie. Exercice matin et soir, ça barde. Le commandant Rousseau veut faire notre dressage.

 

 

 

(Mon ami Albert Join)

 

Départ de ce pays le 26 août à trois heures du matin. Séjour à Laveline, environ 20 kilomètres. Grande chaleur. Le soir, concert, grande réjouissance de la part du bataillon et de la population. Réveil à deux heures, départ pour Rambervillers, passé par Bruyères. Grande chaleur, grande fatigue et surtout grande soif. Défilons dans la ville. Le soir, repos. Belle petite ville. Nous sommes cantonnés dans l'ancienne caserne du 17ème bataillon de chasseurs. Séjour d'une semaine dans cette ville. Exercice matin et soir. Tous les soirs, concerts.

 

Septembre 1915

Départ le 3 septembre. Cantonnons à Séranville. Grande pluie toute le temps du trajet. Le lendemain, départ pour Blainville-sur-l'eau. Passé à Gerbeviller. Défilé dans le pays, triste spectacle. Guère d'habitants, presque toutes les maisons incendiées. Arrivé à Blainville le dimanche matin. Revues toute l'après-midi, le soir, concert. Lundi matin, arrivé de mon père au réveil. Permission de la journée. Départ de mon père vers six heures du soir. Le 7 et le 8, exercices et revues. Le 10 marche pour St Nicolas. Passer à Varangéville, Dombasle. Grande halte. Rosières. Rentré le soir vers 3 h un peu fatigué. Le lendemain, exercice. Dimanche, repos. Le reste de la semaine, exercice. Samedi 18, départ pour Fraimbois. Passé par Mont-sur-Meurthe. L'après-midi, travaux de campagne. [De même que] dimanche toute la journée. Lundi également. Mardi, départ à midi pour Blainville. Passé à Hériménil, Mout[?]. Le restant de la semaine préparatifs pour le départ. Beaucoup de revues, pas une minute de tranquillité.

Dimanche 26 sept, rassemblement pour le départ à cinq heures pour embarquer. Quitte le pays à 10 heures du soir. Passé à Nancy, Toul, Neufchâteau, Bar le Duc, Châlons. Débarqué à St-Hilaire-le-Grand vers midi, départ pour un camp de concentration. Passé à Cuperly, environ 12 kilomètres. Arrivé au camp vers 6 heures. Tout cela sans manger. Grande fatigue. Passé une journée dans les canias [cagnas]. Mardi 28 septembre, départ en camions pour Suippes, temps pluvieux. Vers midi, parti à pied pour Souain. Triste spectacle. Pas une maison debout, toujours la pluie, nous recevons les premiers obus. Pas grand succès. Le 30, repos un peu à l'arrière. Moral excellent, attend les événements.

Octobre 1915

Le restant de la semaine, va et vient dans les boyaux de 2 et 3° ligne. Samedi et dimanche, repos dans un camp bôche. Attendons le départ pour les 1ères lignes. Lundi, mardi, mercredi, jeudi, réserve de secteur à 500 mètres des lignes. Mercredi un obus est tombé dans mon boyau ensevelissant trois hommes. Point de mal.

Mêmes positions le reste de la semaine. Dimanche et lundi, rien de nouveau. La semaine du 9 au 17, mêmes positions et même vie, on ne se déplaît pas trop. L'eau est très rare, il faut aller la chercher à la ferme des Vack [ferme des Wacques] distante de plus de 5 kilomètres. On est d'une saleté repoussante, voila trois semaine que nous ne sommes pas débarbouillés ni changé de linge. Les totos grouillent à foison. Temps magnifique depuis une dizaine de jours. Nuits fraîches. Dimanche 18, messe à 500 mètres des lignes en plein air. Tout le reste de la semaine, même vie dans les mêmes trous. Rien à signaler.

Samedi 23, on parle fort de la relève, c'est le désir unanime. Enfin le soir à 9 heures, la relève. Arrivons à Suippes vers 11 heures. Couchons à la belle étoile près du pays. Nous avons eu très froid. Le soir, départ pour un camp à 4 kilomètres de Cuperly (camp de Mont-Frenet). Nous y passons la journée de lundi. Mardi matin à 4 heures, départ pour la gare de Cuperly. Départ vers 10 heures. Passons à St Hilaire-au-Temple, Châlons-sur-Marne, Vitry-le-François, Bar-le-Duc, Ligny [Lignyen-Barrois], Neufchâteau, Mirecourt, Epinal.

Débarquons à Laveline-devant-Bruyère. Gelée blanche, froid vif. Nous cantonnons à Laval [Laval-sur-Vologne], petit village à 1500 mètres de Bruyères où nous arrivons vers 10 heures le mercredi 27. Nous logeons dans une usine à papier. Les nuits sont froides. Il y a changement de climat avec la Champagne. Le 28 et le 29, travaux de nettoyage : c'est la mort aux poux. Le 30, exercice après-midi. Le 31, revues toute la journée ainsi que le 1er.

Novembre 1915

Le reste de la semaine exercice, sauf jeudi, marche de bataillon. Défilé dans Laveline et dans Bruyères. Jusqu'au 12 exercice. Pluie et vent. Le 15, départ à 11 heures pour Rehaupal où nous couchons. Le lendemain départ vers 10 heures pour le plateau de Champdray où le général Goffre [Joffre] nous passe en revue. Il est accompagné des généraux Dubail et Villaret ainsi que du dessinateur Hansi. Nous défilons dans 20 cm de neige ce qui est très pénible. Nous rentrons à Laval le même jour à sept heures du soir. Toute la matinée du 17, la neige tombe en abondance. Le 18, départ de Laval vers 9 heures du matin, nous traversons Bruyères, arrivons à Brouvelieures vers 11 heures où nous cantonnons. Le 19, remise de décoration sur le champ de tir de Bruyères. Le soir, repos. Il fait très froid, il y a 0,20 de neige, il gèle très fort. Ce matin, les souliers étaient gelés près de nous. Le 22, travaux de campagne. Le 23, marche et tir.

Rien de nouveau à signaler jusqu'au 4 décembre.

Décembre 1915

Le dégel a commencé. En ce moment, il fait très doux, mais pluvieux. Le 6, marche de 30 kilomètres, mais sans sac, dans la montagne. Grand'halte à « Mont Repos », joli forêt de sapins, vue magnifique. Rentrés le soir au cantonnement, remise de croix de guerre. Le 7, pluie. Jusqu'au 14, rien à signaler. Le temps est un peu refroidit. On parle fort de prendre les tranchées. Jeudi 16, préparatifs pour le départ. Le 17 départ de Brouvelieures vers 11 heures. Arrivé à Le Ménil près Etival vers 5 heures du soir. Grande fatigue. Le sac est lourd. Le 18, repos, on se prépare à partir la nuit aux tranchées. Le 19, départ à 2 heures du matin, arrivons aux tranchées au petit jour. Prenons les 1ères lignes. Je suis au petit poste devant un blockhaus boche à environ 300 mètres. Le village de Senones est à 1 Km devant nous.

Le bataillon relève le 41° B.C.P. au village de La Forain et le 43 territorial au bois du Palon. Le secteur est assez calme. Quelques coups de feu. Le 20, quelques marmites. Le 21, journée calme. Le 22 au soir, bombardement très dense qui dure une heure. Cette situation dure jusqu'au 25. Nous sommes relevés des 1ères lignes pour aller à la ferme de la petite Forain.

 

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Bon de souscription en OR par Louis Guenser pour couvrir l’investissement national d’armement

 

 

 

 

 

 

 

 

Année 1916

Campagnes : Vosges, lest de Nancy, Montauville, Toul et Verdun

 

Janvier 1916

 

Le 1er janvier nous allons aux Carrières en 2° ligne. Corvées toute la journée : sacs de ciment, rails à porter en 1ère ligne. Les nuits sont très noires, il tombe de l'eau, on a du mal à se conduire dans les boyaux. Nous trouvons facilement du vin et tout ce que nous voulons. Les habitants sont presque jusqu'en 1ère ligne. Le vin se vend 18 et 20 sous le litre. Aujourd'hui, le 7 nous nous attendons à être bientôt relevés.

 

Je dois partir prochainement en permission. Rien à signaler jusqu'au 12. Le 13, relevés du secteur de Senones. Partons pour la Voivre dans la région de St-Dié. Le bataillon a une journée de repos.

 

Je pars en permission le 13 à 4 heures du soir. Prends le train à St Michel-sur-Meurthe. Je passe par Epinal, Nancy, Toul. Je pars à pied, passe par Avrainville. J'arrive chez nous dans la nuit. La permission s'est bien passée. J'ai quitté Manonville le 22 janvier.

 

     Je suis descendu à St-Michel. Le bataillon étant parti, il a fallut le rejoindre. J'ai traversé St-Dié, coucher le soir à Laveline devant St-Dié où était le bureau du commandant. Parti le matin pour Quebruc [Québrux] où était mon sac. De là, je suis monté aux tranchées dans le secteur de Wissembach-la-Cude près du col de Ste-Marie. C'est la vraie montagne. J'ai reprit mon service le 26 dans la nuit. Poste avancé à 50 mètres en avant des réseaux. Drôle de façon de passer le cafard, dans la nuit très noire.

 

Le secteur est assez tranquille. Comme abri, ça ne vaut pas La Forain. Nous sommes à 500 mètres du col de Ste-Marie qui se trouve à la frontière devant Ste-Marie-aux Mines. Pendant la journée, travaux de terrassement et la nuit, la garde. Il fait très noir.

 

 

Février 1916

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Aujourd'hui 2 février, il fait très froid. Il gèle. Le 12, on s'attend à être relevé. Mais la 3° et la 4° compagnie ont été attaqués après un terrible bombardement. Donc contre-ordre pour la relève. Enfin le 13 au soir on nous prévient de la relève à 9 heures du soir par le 253° d’Infanterie.

Nous arrivons à Ban-de-Laveline vers minuit. On met un sac sur deux à la voiture. Arrivons à St-Dié vers 3 heures du matin dans la caserne du 10° chasseurs. Le lendemain, repos, mais je suis de garde. Nous quittons St-Dié le 15 à 9 heures du matin. Passons au Haut-Jacques, aux Rouges-Eaux, arrivons à Brouvelieures à 3 heures.

Le reste de la semaine, repos et travaux de propreté. Mercredi 22, départ du cantonnement à sept heures du matin par la neige. Arrivons à Rambervillers à 11 heures du matin. Quartier libre l'après-midi. Concert et retraite aux flambeaux. Départ jeudi à sept heures. Passons à St-Pierremont. Ce village est beaucoup abîmé par le bombardement en 1914. Arrivé à Moyen à 11 heures. L'après-midi, repos. Nous avons eu la neige tout le long du trajet. La marche était très difficile. Nous avons quitté Moyen le dimanche 27. Passons à Gerbeviller, arrivons à Rosières-aux-Salines vers midi. Nous y passons la journée et partons le lundi 28 à sept heures du matin. Passons à St Nicolas, Laneuveville, Heillecourt, arrivons à Vandoeuvre à midi. Très grande fatigue.

 

Mars 1916

 

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Ma compagnie, la 1ère, cantonne dans le vélodrome du Montet. Nous sommes en cantonnement d'alerte. Il est impossible d'aller à Nancy. Nous quittons ce cantonnement le samedi 5 à 10 heures du matin. Traversons Nancy. Pose place Carnot. Fleurs et cigarettes nous sont offertes. Cantonnons à Bouxières-aux-Dames.

Le lendemain, départ à deux heures nous passons à Lay-St Christophe. Halte-repos devant Bouxières-aux-Chênes et départ pour les tranchées à la tombée de la nuit. Nous relevons le 79° de ligne. Ma section est dans une cave du village de Lanfroicourt. Le secteur est tout-à-fait tranquille. La Seille nous sépare des Boches.

Toutes les nuits, nous allons travailler. La journée, repos. Aujourd'hui 14 mars, superbe journée, le soleil est très chaud. Toujours la même vie et le même beau temps. Nous sommes loin de nous en plaindre. Le 27 pluie et vent. On doit être relevé ce soir. Nous arrivons à Bouxières-aux-Chênes. Nous y passons deux jours. Revues. Le soir du 30 nous quittons ce village pour aller à Moivrons. Passons à Leyr et Villers [Villers-les-Moivrons]. Le temps est superbe. La journée du 31 est occupée par les travaux de nettoyage.

Avril 1916

bois des « Trappes »

Nous devons aller travailler le soir. Départ pour le travail à deux heures du matin. Nous passons à Jeandelaincourt. On travaille dans le près de Nomeny. Il fait très chaud. Nous rentrons à neuf heures du soir.

Le 3, réveil à trois heures du matin pour travailler près de la gare de Moivrons. Au lieu de repos pendant la journée, revues. La nourriture est défectueuse. Même vie jusqu'au 11. Dimanche 9, un avion bôche lance deux bombes aux environs du village.

Il fait toujours très chaud. La nourriture s'est un peu améliorée. Toute la semaine, même vie. Dimanche 16, repos et préparatifs de départ. Nous quittons Moivrons à huit heures du soir. Passons à Villers, Leyr, Bouxières, Moulin. Arrivons à Eulmont à minuit. La nuit est fraîche. On doit repartir ce soir.

     Départ le 17 à 5 heures du soir. Exercice tout le long du chemin par le pluie et le vent, probablement que cela amuse notre commandant. En attendant, ce sport ne nous plaît pas du tout. Je cantonne dans la première maison en entrant à Moulin. Mardi, mercredi, jeudi, revues et exercice. Samedi départ pour le travail à 3 heures du matin. Nous sommes près de Brin-sur-Seille. Le soir, nous rentrons à 9 heures, bien fatigué. Environ 16 kilomètres. Le jour de Pâques, revues de cantonnement l'après-midi.

Lundi, mardi, mercredi, jeudi, réveil à 2 heures pour aller au travail. Très fatigué. Vendredi, théorie par le lieutenant De Cissey sur le fusil-mitrailleur dont je viens de me voir attribuer ce poste. Le soir, tir près d'Amance. Samedi et dimanche travail. Lundi tir au fusil. Il fait beau.

Mai 1916

Départ pour les tranchées à 8 heures du soir le 8 mai, ma section est en réserve dans la forêt de Champenoux, place de l'étoile de Brin. Le reste de la compagnie est aux avants poste à Brin. La 1ère semaine, beau temps. On travaille dans le boyau qui va de la forêt à Brin, ce n'est pas la mauvaise vie. On trouve du pinard à 22 sous le litre.

     Le temps se met à la pluie le 14. Le secteur est tout-à-fait tranquille. Le temps se remet au beau le 17. Toujours la vie de travaux dans le boyau de Brin. À part quelques heures de repos, c'est toujours le travail. Malgré la fatigue, tout va bien.

Aujourd'hui 25, gros orage la nuit.

On parle fort de la relève qui se fait le 28. Cantonnons le 29 à Laître-s-Amance. On doit partir ce soir. En effet le soir, départ pour Eulmont. Départ de ce village le 30. Passons par Agincourt, Essey-les-Nancy, traversons Nancy à trois heures du matin. En nous entendant passer, les civils se réveillent et nous regardent par les fenêtres. Pas de défilé à cause de l'heure trop matinale. Faisons la pause près de la porte Saint Nicolas, le défilé commence là et toute la rue du Montet. Nous avons très chaud. Nous cantonnons de nouveau dans le vélodrome.

 

Juin 1916

 

Le 2 juin départ pour Viterne à 5 heures du matin. Passons à Neuves-Maisons, Pont-Saint-Vincent, Bainville, Maizières. Grande fatigue car il fait très chaud. Le 10 nous quittons Viterne pour embarquer à Pont-Saint-Vincent. Passons à Toul, Neufchâteau, arrivons à Ligny où nous débarquons par la grande pluie, on cantonne à Velaines à 2 kilomètres. Le 7 au matin exercice et tir. Ça barde. Le 9, départ pour Vavincourt en passant par Longeville-les-Bar-le-Duc. Très grande fatigue, l'étape était très longue. Le lendemain, départ par la grande pluie pour Courcelles-s-Aire. Nous y restons deux jours. Le 12 départ en camions pour le bois de Nixéville. Nous y débarquons par la grande pluie, nous y passons la nuit sans autres abris que nos toiles de tente. Le 13, départ pour la citadelle de Verdun.

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Le même soir, départ pour les tranchées. Traversons le faubourg de Belleville, prenons le boyau qui longe la route qui va à Bras [Bras sur Meuse]. Dans le boyau nous avons de l'eau jusqu'aux genoux. Passons à la ferme de la Folie à droite de Bras. Nous reprenons le boyau jusqu'à la carrière d'Audremont. À notre droite nous avons le fort de Douaumont, à gauche la côte du Poivre. Le secteur est constamment balayé par l'artillerie lourde ennemie, on ne peut se montrer le jour, nous sommes terré dans des petits trous de renard.

Nous avons relevé le 403° d'infanterie. Le 16, 17, 18 et 19 juin fort marmitage. Le temps est au beau. Nous allons nous ravitailler à côté de Bras, c'est une corvée extrêmement pénible, beaucoup ne reviennent pas.

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Le 20, la compagnie quitte ce sale coin pour un plus mauvais. Marmitage en règle. Le 24 après-midi grande séance. Ma section est soutien de mitrailleuse dans le ravin de la Mort. Les mitrailleuses tirent sans arrêt et font du joli travail sur les renforts boches qui vont attaquer sur notre droite vers Thiaumont. Quelques instant après, nous sommes repérés, et bien. Quatre officiers et six hommes sont ensevelis dans un abri, on ne peut les dégager. Une bonne partie de ma section est également enseveli dans le boyau Lenoth. J'y ai bien manqué aussi.

 

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Le soir, malgré la très grande fatigue et les émotions de la journée, nous relevons la 6° compagnie qui est aux avant-postes. Nous sommes dans des trous, on ne peut relever la tête dans la journée, une odeur cadavérique envahit l'atmosphère, c'est un vrai charnier. Les boyaux ne sont qu'un enchevêtrement de bois et de cadavre. Les marmites ne font pas défaut, grande activité d'avions bôches, on ne peut remuer une pelletée de terre sans être arrosé copieusement. À notre droite il y a attaque tous les jours sur Thiaumont et sur le bois de la Caillette. Ici où nous sommes, c'est le bois des Navets [le bois Nawé]. Triste spectacle. Plus un arbre, pas un brin de verdure, ce qui était des boyaux est rempli de cadavres. Le plus pénible c'est la corvée de soupe. L'eau se fait rare, nous en trouvons un peu près de Bras tout en risquant les marmites. C'est avec une grande joie que nous apprendrions la relève. Il pleut très fort, nous ne sommes que des tas de boue.

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Juillet 1916

Le 2 juillet, attaque précédée d'un violent bombardement. On soupire après la relève, on ne tient plus debout. Tous les jours attaque sur Thiaumont.

Le 5 juillet enfin nous sommes relevés par le 58° d'Infanterie, il pleut. Il y a de l'eau plein les boyaux. Nous passons à Bras, il fait grand jour, nous craignons fort d'être bombardé, c'est pourquoi que nous courons pour arriver sur le canal avant d'être aperçus par les bôches. Nous arrivons à Verdun à 6 heures du matin exténué de fatigue. Les roulantes nous attendent pour nous restaurer. Notre capitaine ne peut s'empêcher de nous dire : « Vous êtes les plus sales mais vous êtes les plus beaux ».

Ma compagnie avait le plus souffert du bataillon. A huit heures, nous quittons Verdun et cahin caha, nous gagnons le bois de Nixéville où une bonne nuit nous attendais. Le lendemain matin, lorsque nous nous apprêtions à prendre les camions, j'aperçois le 19° B.C.P… J'ai vu mon cousin Lucien [Turck?] de Maidières. Nous avions peine à nous reconnaître, tant nous étions déguenillé. Nous débarquons à Velaine. Travaux de propreté plusieurs jours, nous en avons bien besoin. Les totos grouillent. Le 8 juillet, service funèbre à Ligny pour les morts de la division lequel est présidé par l'évêque de Verdun. Le 10, nous quittons Velaine à 1 heure l'après-midi pour embarquer à Nançois-Tronville que nous quittons à 3 heures. Nous débarquons à Toul à 8 heures du soir. Nous venons cantonner à Fontenoy-s-Moselle. Le 12 mon père est venu me voir.

 

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Le 13, départ pour Griscourt par Tremblecourt. Le 14, j'ai obtenu une permission de la journée pour Manonville. J'étais très heureux. Je cantonne au Moulin de Griscourt. Le 15 au soir, départ pour le camp de Jonc-Fontaine dans la forêt de Puvenelle. Le 16, départ pour le moulin de Montauville. Le 17, départ pour les tranchées. Nous sommes sur la lisière du bois-le-Prêtre près de la fontaine des Cerfs sur le territoire de Fay-en-Haye que nous apercevons à notre gauche.

 

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La nuit, nous prenons les avant-postes. Pendant la journée c'est le 47° territorial qui nous remplace. Le secteur est assez tranquille à part : crapouillots et grenades de toute sorte sans oublier beaucoup de rats. Le 22, nous sommes relevés par le 2° peloton de la compagnie. Nous venons au moulin de Montauville. C'est la pause. Le soir je vais chez ma cousine de Maidières. J'y couche. Après quatre jours de repos nous reprenons les lignes à la même place. On ne s'en plaint pas. Après six jours nous repartons à JoncFontaine. On doit y rester au repos.
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Août 1916

Aujourd'hui 1er août, grande chaleur et grande soif, je boirais bien une canette, mais on ne trouve absolument rien. Tous les soirs nous venons nous désaltérer à Gézoncourt.

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(Le train Pechot de ravitaillement du front qui passe par Manonville (Rehautmoulin) et St Jean)

      

     Le 3, je pars à Saizerais pour faire un stage de grenadier. C'est la vie rêvée. Le 6 je vais à Manonville, j'y passe la journée agréablement avec mon ami Join [?] qui est caporal instructeur. Lundi 7, mal à la tête, grande chaleur. Mercredi 9, départ de Saizerais pour Belleville. J'y passe la nuit, et le 10 je monte rejoindre ma section qui est aux tranchées.

     Le 12 au soir, le 2° peloton nous relève, nous cantonnons près de l'église [de] Montauville. Du 13 au 14 je suis de garde à l'école. Le 16 nous remontons en ligne. Les bôches font d'amples distributions de tuyaux de poële et de torpilles, malgré cela c'est la bonne vie.

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Le 20 août au soir c'est la relève, nous passons quatre jours à Montauville pendant lesquels nous sommes occupé à balayer les rues. Les soirs on parvient non sans peine à aller se promener à Pont-à-Mousson. Le 24, la compagnie vient au repos à Griscourt. Le 25, je pars en permission.

 

Septembre 1916

 

Je rentre le 2 septembre avec le cafard. Le 3 je m'apprête à monter en ligne. Je n'y monte que le 9. il y a de l'eau dans les boyaux mais le temps se met au beau. Le secteur est toujours le même. Le 13 relève pour venir à Montauville. Le 17, départ pour Jonc-Fontaine. Le 18 pluie. Le 20 je suis vacciné. Je suis indisposé pendant deux jours. Le 23 départ pour Saizerais. Le 26, j'arrache des pommes de terre. Le soir je vais à Manonville sans permission. Je rentre pour le réveil le 27. Le 28 nous quittons Saizerais pour aller à Gondreville. Passons à Liverdun, Villey-Saint-Etienne. Le 29 revues de toutes sortes.

 

Octobre 1916

 

Le 2 à onze heures nous quittons Gondreville pour Pierre-la-Treiche. Passons à Villey-le-Sec. Le 4 départ à sept heures pour Bagneux, passons près de Gye et de Crésilles, traversons Moutrot. Le 5 vaccination. Grande pluie les 4, 5, 6 et 7. Le 8, près d'Allain travaux pour préparer un terrain pour lancer des grenades. Le 10, travaux près de Bicqueley. Le 11, revue du dépôt par le commandant près de la gare de Bagneux. Le temps est au beau. Le 12 octobre, travaux près de Bicqueley. Le 21 toujours en cantonnement près de Bagneux. Exercice tous les jours.

Le 31, je pars en renfort pour le bataillon, je suis affecté à la 3° compagnie, section De Cissey, caporal Florentin. Celui-ci fut mon bleu au 79°. Nous sommes venus en renfort au 120° ensemble. Nous étions comme deux frères. Il est tombé mortellement frappé à mes côtés le 8 juillet [1917] au Chemin des Dames.

Novembre 1916

 

Le bataillon cantonne à Mont-le-Vignoble. Tous les jours exercice très serré au fort de Blénod. Mauvais temps. Le 19 nous quittons ce cantonnement pour embarquer à Domgermain, passons par Neufchâteau, Bar-le-Duc, Vitry-le-François, grande ceinture de Paris, Beauvais. Nous débarquons à Crévecoeur [Crévecoeur-le-Grand] le 20 à 7 heures du matin. Il fait froid, il y a une gelée blanche. Cantonnons à Catheux. Le lendemain départ pour Conty dans la Somme. Jolie petite ville de 5 à 6000 habitants. Par contre nous sommes très mal cantonnés, des remises à court en d'air [courant d'air]. Aujourd'hui repos. Les jours suivants un peu d'exercice. Concert tous les jours malgré le froid vif qui sévit.

 

Décembre 1916

Aujourd'hui 5 décembre, mon cousin Albert Turck est venu me voir, il cantonnait dans les environs. Nous passons la soirée ensemble. Prolongations de notre séjour à Conty, nous ne nous en plaignons pas car c'est la bonne vie. Le 11, je vais voir mon cousin Charles Feuillot qui est au dépôt divisionnaire de la 11° division. Le 19 préparatifs de départ, les cuisines partent dans la journée. Le 21 départ du bataillon à 6 heures du matin. Nous embarquons dans les camions près du pays.

Passons à Ailly-sur-Noye, Bray-sur-Somme, débarquons à 500 mètres de Cappy. Nous sommes dans des baraquements, de la boue jusqu'aux genoux. Il ne fait pas bon mettre le pied à côté du caillebotis, on risquerait de s'enliser. Repos le 22 et 23. Les Anglais sont près de nous à Suzanne. La Somme nous en sépare. Nous allons y faire notre fourniture de cigarettes.

Le 26, départ du camp à 4 heures du soir pour les tranchées par une pluie torrentielle. Passons à L'Eclusier [Eclusier-Vaux], Herbécourt, Flaucourt, de la boue et de l'eau, on se croirait au milieu d'un lac. Quelquefois nous tombons dans un trou d'obus, là où il faut le secours d'un camarade pour nous en retirer. Nous prenons le boyau à la sortie de Flaucourt. Ma compagnie, la 3°, est en réserve à droite à Barleux, devant le Mont-Saint-Quentin près de Péronne. Toutes les nuits nous faisons des corvées de matériaux. Le secteur est très agité. Nous sommes quarante dans un abri tout à fait étroit. Pas moyen de s'étendre pour dormir.

À ma grande satisfaction dans la nuit du 28 je suis averti que je dois partir en permission. A grand peine je rejoins Cappy où j'arrive au petit jour. Après un nettoyage sommaire je prends un camion qui me conduit à Villers-Bretonneux où je dois prendre le train le 29. Le 30, j'arrive à Toul à 6 heures du soir. Le Thiaucourt étant parti aussi, je pars à pied pour Manonville où j'arrive à minuit

 

 

 

Année 1917

Campagnes des Vosges, Chemin-des-Dames et Champagne, la Somme

 

Janvier 1917

Je repars le 9 janvier. J'arrive à Noisy-le-Sec le 10 à 1 heure du soir. Je reprends le train à 5 heures du soir pour Saint-Just-en-Chaussée. J'y passe 24 heures faute de correspondance. Je descends le 12 au soir à Villers-Bretonneux. Je couche dans les baraques, j'y ai eu très froid. Quelle ne fut pas ma surprise agréable quand on m'annonce que le bataillon, étant relevé depuis deux jours, allait traverser le pays. Je le rejoins à Gentelle.

Nous y passons une journée et le lendemain 14, nous embarquons à Boves à 6 heures du soir. Toujours la boue et la pluie. Passons à Compiègne, Creil, grande ceinture de Paris, Versailles, Troyes, Chalindrey, Epinal. Débarquons à Corcieux, venons cantonner à La Houssière. Il ne fait pas chaud, neige et gelée. Les routes sont très glissantes. Travaux de nettoyage.

Le 19 marche à Anoult, ancien cantonnement du bataillon quand je l'ai rejoint le 17 août 1915.

Le 23, départ de La Houssière à deux heures du matin. Les routes sont très mauvaises, on ne peut tenir debout tellement il fait glissant. Passons à Taintrux, arrivons à St-Dié à sept heures du matin. Défilé dans la ville. Il gèle très fort. Nous cantonnons dans des casernes.

L'après-midi le quartier est déconsigné. On peut aller faire le tour de la ville, qui est assez agréable. Le 24, repos, on fait les préparatifs de départ. Le bataillon quitte St-Dié à 5 heures du soir. Passons à la Voivre, cantonnons à Denipaire, où nous arrivons à 8 heures. Le froid est très vif.

Le 25 départ pour les tranchées à quatre heures du soir, arrivons en ligne vers 7 heures. Sommes à droite de Senones à peu près à la même place que l'an dernier. Secteur Le PalonStrabak. Calme mais grand froid, bons abris dans lesquels on fait du feu toute la journée. Le plus dur c'est d'aller abattre du bois sans être vus des bôches et surtout de notre chef de section qui est constamment derrière nous.

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Février 1917

Le 2 février, quelques obus sur notre droite. Toujours grand froid sec. La nourriture n'est pas mauvaise. Tous les matins nous nous offrons le chocolat. Le 10, les bôches ont violemment bombardé sur La Forain à notre gauche. Nous sommes alertés. Notre artillerie ayant vigoureusement riposté, les bôches n'ont pu sortir de leurs tranchées. Aujourd'hui il tombe de la neige.

Le 8, notre commandant Rousseau est promu lieutenant-colonel, il va commander le 130° d'infanterie. Il fait ses adieux à tous ses chasseurs dans les tranchées. Il est très ému. C'est compréhensible, c'est lui qui avait formé le bataillon. Il sera beaucoup regretté, car si quelquefois il nous a fait prendre la piquette à l'exercice, il savait en maintes circonstances se montrer à la hauteur de sa tâche. Il est remplacé par le commandant Le Marois. Il visite les tranchées le 11. Il nous paraît sympathique à première vue. Le 14 au soir, nous sommes relevés par la 4° compagnie. Je suis de garde à La Chapelle. Le 15, je suis désigné pour faire la liaison entre le PC de La Chapelle 120° et le PC du 4° chasseur territorial qui est à notre droite.

Je vais m'installer avec les vieux pépères avec lesquels je me plais très bien. Absolument rien à faire ni de jour ni de nuit, pinard à discrétion. Le 21, pluie toute la journée. Le 26, le P.C. du 4° chasseurs est relevé par celui du 120°. Ma mission étant terminé, je rejoins ma compagnie qui est à la même place que l'an dernier à La forain. Je loge dans la maison appelée ''les cocotes''. Les petits postes sont à cinquante mètres en avant, on voit très bien Senones et les habitants qui s'y promènent. On distingue même des religieuses et des blessés bôches devant l'hôpital sur lequel flotte le drapeau de la Croix-Rouge.

 

Mars 1917

Le 2 mars il tombe de la neige. Le 13 au soir, la compagnie est relevée de La Forain par la 2°. Nous venons en réserve de la 4° près de La Fontenelle dans le secteur du Cerisier. Nous travaillons, ce n'est pas très dur. Le temps est au dégel, il y a de la boue. Le 20 au soir, nous relevons la 4°. je suis en 1ères lignes. Le secteur est tranquille, quelques grenades à ailettes. C'est ici que j'ai tué un superbe chat, c'est Florentin, mon ami, qui la fricassé et toute l'escouade a pu y goûter ainsi que le sergent Morand. Voilà deux jours qu'il tombe de la neige. Il fait très froid. Le 30, grande tempête, il ne fait pas bon au petit poste, vu que l'on s'attend à un coup de main d'un jour à l'autre.

 

Avril 1917

 

Le 1er, nous sommes relevés par la 2ème compagnie du 106 B.C.P. Ma compagnie va en réserve à La Forain. Il fait beau. Le 8, la compagnie monte en ligne à La Bastille et relève la 2°. Les bôches envoient des gaz très dangereux. Ma section est en réserve à La Basse-Forain. Travaux toute la journée. Le 11, je vais à la visite pour piqûres aux doigts occasionné par les barbelés. Exempt de service. Le 14, relève par la 2° compagnie. Ma section est en réserve à La Chapelle. C'est la bonne vie. 16 et 17, neige et froid. Le séjour se prolonge jusqu'au 28 et nous montons relever la 2° au «Fénec ». Un groupe de volontaires commandé par le lieutenant De Cissey fait un coup de main, pas de résultat.

Mai 1917

 

Le 3 mai, nous sommes relevés des lignes par le 216 d'Infanterie. Nous couchons une nuit à Clairfontaine. Le lendemain, départ à trois heures du matin pour Housseras. Grande chaleur et grande soif. Je pars en permission. Je prends le train à Autrey-Sainte-Hélène près de Rambervillers. J'arrive le 6 à Manonville, la permission s'est très bien passée, je repars le 14 au soir et j'arrive à Aneuménil près d'Arches (région d'Epinal) où le bataillon est au repos. Je n'ai pas le cafard.

 

Le 16, repos pour moi. Le bataillon fait des manœuvres de division. Aujourd'hui 28, lundi de Pentecôte, repos. Grand beau temps. On parle de départ pour cette semaine. La bière se vend 0,50 la bouteille et le vin rouge 28 sous, le blanc 1,60 le litre.

     Le 30 départ d'Aneuménil à sept heures du matin. Faisons 25 kilomètres par la chaleur, arrivons à Chaumousey à une heure de l'après-midi, très grande fatigue. Le 31 repos.

Image 6(Théâtre aux armées de Manonville en mai 1917)

Juin 1917

Le 1er juin, nous quittons ce pays pour aller embarquer à Darnieulles. Départ à 1h30 par un grand beau temps. Nous passons à Mirecourt, Neufchâteau, Gondrecourt, Bar-le-Duc, Vitry-le-François, Sompuis, Poivres, Sezanne, débarquons à Montmirail à huit heures du matin, venons cantonner à Marchais-en-Brie, petit trou où nous ne trouvons rien à acheter qu'un peu de vin à 1,60 le litre. Le 10 même vie, pas trop malheureux. On parle d'un départ prochain, c'est le Chemin des Dames en perspective. Le 11 on embarque en camion à quatre heures du matin. Traversons Château-Thierry, Rozière, faisons huit kilomètres à pied. Le bataillon cantonne à Ambrecy à droite de Soissons. Le vin se vend à 36 sous.

 

Le 12 repos. Départ le 13 pour Chasseny. Passons à Sermoise. Nous y passons 24 heures, et le 14 nous montons en ligne. Nous traversons l'Aisne à Vailly, nous recevons quelques obus sur la route. Traversons Aizy. Le bataillon est en réserve dans d'immenses carrières souterraines, près de la ferme Hameret.

     Nous sommes en pleine sécurité, à peine si l'on entend les détonations des gros obus. Nous sommes entre Craonne et le moulin de Laffaux dans le secteur du Panthéon. Le 121° B.C.P. est en première ligne et le 106 en 2° ligne.

Le 15 au soir nous sommes alertés. Les bôches bombardent continuellement avec des gros calibres. Toutes les nuits nous travaillons dans le boyau Cibeau [Cibot] qui va en 1ère ligne. Ce n'est pas le filon, on est sérieusement marmité.

 

Le 25 les bôches bombardent l'entrée de notre carrière avec des gros noirs qui sont loin de nous émouvoir. Le 24, le bataillon se prépare à aller renforcer le 297° pour reprendre une tranchée que les bôches leur avaient prise quelques jours auparavant.

     Toute la nuit ordre et contre-ordre et finalement nous restons là, nous n'en sommes pas fâchés. Le 25, pas de ravitaillement, on se met la ceinture. Toujours en alerte. Le 26, nous devons relever le 121° en 1ère ligne depuis que nous sommes en secteur. Le soir, la relève se fait. La 4° et la 2° en 1ère lignes. La 3° en réserve, le 1er peloton dans les boyaux et le 2° dans une petite carrière. Les bôches bombardent très fort. La nuit, nous allons poser des fils de fer devant les petits postes, ce n'est pas le filon.

Le 29, le 121° ayant refusé de partir pour attaquer sur la droite, ce bataillon nous relève des lignes et c'est nous qui partons à sa place, non sans rouspéter, mais il faut marcher quand même. Nous occupons une tranchée où les obus nous tombent de tous côtés. Notre commandant fait tout son possible pour que l'attaque n'ait pas lieu. Il paraît que c'est un endroit intenable qui coûterait de lourdes pertes pour prendre et que l'on ne pourrait pas tenir. Il y réussit non sans peine, mais il va être en disgrâce pour avoir tenu tête à plus haut que lui.

Enfin, après deux jours passé dans cette tranchée sans ravitaillement et après avoir subit de lourdes pertes, nous regagnons enfin notre carrière. Le moral est très bas. C'est la relève qu'il nous faut, mais hélas, il y a encore de bien tristes moments à passer avant.

 

Juillet 1917

 

Commentaire d’Hervé :

L'attaque allemande sur le Chemin des Dames de juillet 1917 par exemple, 138 tués, blessés et disparus ce jour là, sur un effectif d'environ 1200 hommes, c'est dire l'intensité de la bataille...

 

Le 6 juillet, le bataillon relève le 106° qui est en 1ères lignes. La 3° et la 2° compagnies en avant, la 4° en réserve. Le coin est très mouvementé. Les bôches nous envoient généreusement obus et minen. Pas un abri sauf pour les officiers qui sont en toute sécurité dans une ancienne sape bôche en ciment. Tous les matins à la pointe du jour c'est Fantôme As [Fantomas] (aviateur bôche très culotté) qui nous sonne le réveil. Il rase les tranchées avec son appareil, nous mitraillant. Il faut avoir soin de se cacher.

Le 7 à trois heures du matin, bombardement d'une extrême violence, ça sent l'attaque. Après une heure de ce vacarme, voici les bôches qui apparaissent. Nos petits postes qui sont au delà du Chemin-des-Dames sont fait prisonniers. Le peu que nous restons de valides (car le bombardement a causé de sérieux vide dans nos rangs) faisons marcher fusil-mitrailleur et grenades. Le tir de barrage de notre artillerie se déclenche, fauchant presque tous les assaillants. Les quelque uns qui étaient parvenu jusqu'à notre tranchée sont tous tué. Une heure après, ils sont recouverts de boue et d'eau et leurs corps servent de caillebotis.

     Dans la journée, ils essayent de nouveau trois fois, précédés chaque fois par un violent bombardement. Chaque fois ils sont repoussé avec de lourdes pertes. Dernière tentative à 9 heures du soir, infructueuse comme les précédentes.

     Cette journée fut très pénible pour nous, nous sommes exténués, physiquement et moralement. Nous ne sommes plus que 17 combattants à la 3° compagnie. Mon grand ami le caporal Florentin fut blessé à mes côtés. Je le mis un peu à l'abri près du poste de commandant. De là, les brancardiers l'ont porté à l'arrière. 15 jours après, j'apprenais avec peine sa mort à Mont-Notre-Dame des suites d'une amputation d'une jambe.

Le 8, le secteur est un peu plus calme. On attend la relève avec impatience, quelques tirs de barrage, nous avons grand peur que les bôches recommencent la danse. Mais il faut croire qu'ils ont été servis à souhait hier, car aujourd'hui ils sont calmes. Quelle joie, dans la soirée du 9 mars nous voyons un officier du 97° d'Infrie qui vient reconnaître les tranchées. Ça sent la relève pour ce soir.

     Vers 10 heures du soir voici la relève par le régiment que nous avions nous même relevé. Les poilus ne paraissent pas enchantés d'être revenu, surtout à la vue du désordre qui y règne. Les boyaux sont impraticables, une boue épaisse partout, nous sommes obligés de passer à découvert au risque de recevoir un coup de mitrailleuse. Nous faisons une petite pause dans une carrière pour un peu nous ravitailler, car voilà deux jours que le ravitaillement n'a pu nous parvenir. Nous passons à Aizy, Vailly [sur-Aisne], il faut nous dépêcher à traverser l'Aisne, car le jour commence à pointiller, et les bôches pourraient encore nous faire leurs adieux.

Le bataillon, ou plutôt ce qui reste du bataillon, vient cantonner à Ciry-Salsogne. Nous sommes très abattus. Le lendemain, repos. Je fais le tour des compagnies pour revoir des camarades. Mais hélas, beaucoup manque à l'appel. Le 11 nous prenons les camions qui nous débarquent à Reteuil [Retheuil] après avoir traversé Soissons, Vic-S-Aisne. Arrivons au cantonnement à 2 heures de l'après-midi. Le nouveau commandant Humbel nous rejoint. Grande joie de se sentir au repos après les émotions ressenties là-haut.

Le 12, repos et nettoyage. Le 14 je pars en permission. Je prends le train à Villers-Cotteret. J'arrive chez nous le 15 à huit heures du soir. Tout se passe bien. Je repars le 27 au soir. J'arrive à Estrées-St-Denis le 29 à 5 heures du matin. J’ai 5 kilomètres à faire à pied pour rejoindre le bataillon qui est cantonné à Gournay-sur-Aronde. Nous avons reçu des renforts de la classe 17.

Août 1917

Le 1er août au matin, nous quittons ce cantonnement pour venir cantonner près de Compiègne, étape de 18 kilomètres. Le 2, départ à trois heures du matin, vingt kilomètres. La fatigue commence à se faire sentir. Le 3 départ à 4 heures du matin, traversons Vic-sur-Aisne ainsi que les anciennes 1ères lignes avant le repli bôche au début de l'année. Traversons tout le plateau de Nouvron, ce n'est que terrain friches à perte de vue, des chardons hauteur d'homme. Le bataillon cantonne à Bieuxy. Le village est complètement détruit ainsi que toute la contrée. Les bôches ont tout fait sauter avant de se replier. Tous les arbres fruitiers, pommiers principalement, sont sciés à 1 mètre de hauteur. En un mot, c'est le désert, on croirait qu'un cataclysme à passé par ici.

Nous cantonnons dans des baraquements. Après deux jours nous reprenons l'exercice. Nous sommes à environ 15 kilomètres des lignes. Après trois jours de pluie le temps se remet au beau. Il y a une coopérative d'armée à Vézaponin. Nous allons nous y approvisionner en pinard principalement. Aujourd'hui 10 août, exercice et revues. Le 13 nous quittons le camp à 2 heures de l'après-midi, passons à Barleux [en fait, Bagneux], mangeons la soupe à Montécouvé, tous ces pays sont complètement détruit. Ma compagnie est en réserve.

Le secteur paraît assez tranquille. Nous avons relevé le 262° d'Inferie. La nuit nous allons travailler en 1ères lignes au Mont des Singes. Traversons Vauxaillon au pas de courses. Au moins six kilomètres de boyaux pour aller. Ce n'est pas le filon. Il pleut tous les jours. Le 19 nous sommes relevé par le 121°. Nous venons en réserve de division dans un camp à 8 kilomètres à l'arrière sur la route de Béthune à Soisson, pas loin de Coucy-le-Château.

 

     Ce camp s'appelle « les Ribaudes » à 11 kilomètres de Soissons. Nous y faisons l'exercice. Dans la nuit du 25 au 26 nous relevons le 121° qui est en ligne au Mont des Singes devant Vauxaillon. Le secteur paraît assez tranquille mais toute la journée nous recevons des crapouillots nous n'avons pas d'abri que de mauvais trous de renard. Le mauvais temps se met de la partie. Le séjour ne se passe pas très agréablement. Après six jours nous sommes heureux d'être relevé par le 106°. Nous venons en réserve, aux Tueries, où nous ne sommes pas trop mal. De bons abris dans un bois, les roulantes et la coopérative près de nous. Toute la journée on fait de sérieuses parties de carte. La nuit, travail dans les boyaux. Grand beau temps.

 

Septembre 1917

Le 7 septembre nous sommes relevés. Le bataillon vient au repos au camp des Ribaudes. Ma compagnie est détachée à Terny-Sorny dans une carrière. La nuit nous allons travailler derrière le 297°. Grand beau temps. Le 12 ma compagnie rejoint le bataillon. Le 13 au matin remise de décorations par le général de division : De Corn. Il me remet ma dernière étoile à ma croix de guerre. Le soir nous remontons en ligne. Ma compagnie est à la même place que la 1ère fois. Ma section est en réserve dans une carrière à proximité des 1ères lignes. Le secteur paraît plus calme. Qui d'ailleurs ne durera pas.

     A part les bombardements fréquents, et beaucoup de travail de nuit, le séjour aux tranchées se passe normalement. Le 19 au soir le bataillon est relevé par le 106° B.C.P. Nous sommes en réserve aux « Tueries ».

     Grand beau temps. Les nuits travail. La journée, nous taquinons la dame de pique à toutes les sauces.

Le 27 au soir, le bataillon va en grande réserve au camp des Ribaudes qui se trouve sur la grande route de Soissons qui est à 11 kilomètres et de Chauny qui est à 17 kilomètre. Le 28, nous avons la visite du Président Poincaré, du roi d'Italie escortés d'une longue suite : généraux et civils. Ils rendent visite au P.C. de la division qui est à proximité. Le bataillon fournit une garde d'honneur, dont je fais partie, il faut être tiré à quatre épingles. Comme récompense, un large sourire de ces messieurs.

 

Octobre 1917  

  Le 5 octobre au soir, le bataillon reprend les lignes au. Le secteur sent l'attaque. Les préparatifs sont poussés activement. Le 6, commencement du bombardement français, des pièces de tous calibres ainsi que les crapouillots y prennent part. C'est un vacarme épouvantable. Nous plaignons presque les bôches qui reçoivent cette avalanche d'acier.

On nous fait évacuer les 1ères lignes, nous sommes dans de petites sapes un peu à l'arrière. Quelques sentinelles sont placées à l'intersection des principaux boyaux. On y reste chacun une demi-heure. On l'a trouve bien longue. C'est avec un grand soulagement que l'on voit un camarade venir nous relever. Pour la nuit, tout le monde regagne sa place dans les petits postes. Le secteur [de]vient très mouvementé car les bôches ripostent. Quelques blessés de chez nous, pas de morts. La pluie commence à tomber, il fait très froid surtout la nuit qu'il faut passer entièrement aux créneaux. Le bombardement dure quarante-huit heures. Le ravitaillement se fait difficilement. La journée du 8 paraît assez calme. Tous les préparatifs semblent terminer. Le 9 au soir nous somme relevé par une autre section de la compagnie. Nous sommes dans une carrière à proximité.

Tous les soirs nous faisons des coups de main. Il faut à tout prix des prisonniers pour avoir des renseignements. Les bôches se tiennent sur leur garde et chaque fois nous sommes reçus par des grenades ou par la mitrailleuse lorsque nous abordons leur réseau de fils de fer. Le 13, nous sommes relevés par le 106° qui doit faire l'attaque. Nous sommes très fatigués. Ma compagnie est en réserve aux « Tueries ». La nuit nous allons porter des torpilles en 1ères lignes. Il faut traverser Vauxaillon, ce n'est pas le filon. Le 22, nous relevons une compagnie du 121° sur la gauche dans la basse forêt de Coucy près de Quincy. Nous sommes avec des malgaches qui commencent à trouver le climat mauvais. Ils sont enveloppés comme en plein hiver. Le secteur est assez tranquille malgré les bombardements et l'attaque qui est déclenchée sur notre droite. Nous essayons plusieurs raids audacieux sans bombardement. Les bôches sont tellement en éveil que chaque fois, ils nous reçoivent très mal. Il fait très froid et de la boue à volonté. Nous apprenons que l'attaque a très bien réussi, beaucoup de prisonniers. Toute la forêt de Pinon est à nous. Nos lignes sont maintenant sur l'Ailette. Le 29 nous sommes définitivement relevé par le 22° d'infrie. Nous venons à Leury [à 6 km au nord de Soissons]. Il gèle très fort. Le lendemain départ pour Amblény-Fontenoy. Entre Vic-sur-Aisne et Soissons.

 

Novembre 1917

     Nous y restons deux jours et le 3, nous prenons les camions sur la grande route de Soissons. Traversons Vic-s-Aisne, Pierrepont [en fait, Pierrefonds]. Nous débarquons entre Villers-Cotterêts et Crépy-en-Valois.

     Le 4, je pars en permission de 10 jours, je prends le train à Villers-Cotterêts. Rien à signaler pendant ma permission. Je quitte Manonville le 19 au soir. J'arrive à la gare régulatrice de Vaire-Torcy [gare de Vaires-sur-Marne, à 20 km à l'est de Paris] le 20 à midi. Je croyais retrouver le bataillon au repos à Cagny mais il vient de partir précipitamment en camion pour une direction inconnue [le 120° B.C.P. est parti en camion en direction de Péronne le 20 en après-midi].

   Je reste deux jours à cette dernière gare, en attendant les ordres. Je prends un train de transports de la division qui me débarque à Péronne le 22 à 10 heures du soir. J'ai passé à Creil, Amiens, Chaulne(s). Nous sommes au milieu des Anglais. Après bien des péripéties, je trouve le bataillon qui cantonne dans les ruines de « Buires-Courcelles » comme d'ailleurs tous les villages de la contrée. Il me faut coucher près de huit jours sans couvertures, mon sac n'étant pas encore arrivé. Par ces temps il ne fait pas gras, ce n'est pas ce qu'il fallait pour me faire passer mon cafard. Voici ce que l'on nous a dit. Les Anglais ayant attaqué sur Cambrai avec des tanks, il leur fallait des renforts pour exploiter le succès, ou par crainte d'un retour offensif des bôches.

Toujours est-il que nous sommes restés là jusqu'au 27 sans être employés. C'est d'ailleurs avec plaisir que nous reprenons les camions près de Courcelle [Buire-Courcelles]. Passons à proximité de Péronne, traversons Ham, Guiscard, Noyon, Lassigny, débarquons à Gournay-sur-Aronde à 4 heures du soir. C'est dans le même pays que nous étions au repos au mois de juillet après le « Chemin des Dames » dans la région d'Estrées-Saint-Denis.

Nous nous installons confortablement, nous touchons des couchettes et même des draps, tout fait prévoir que nous allons y faire un long séjour. Exactement deux jours après, le 30, nous sommes alertés à deux heures du matin. Les camions nous attendent à la sortie du pays. Au petit jour nous embarquons, passons à Roye, Nesle. Tous ces pays sont complètement démolis, quelques civils. Nous débarquons à Montécour(t) à deux heures de l'après-midi. Nous voici à nouveau en plein secteur anglais qui ont encore besoin de notre concours. Nous faisons 6 kilomètres à pied et cantonnons à Trefcon. Rien que des ruines, nous cherchons quelques caves pour nous abriter car à cette saison le froid se fait sentir. Il y a encore ici de la cavalerie Indoue [hindoue]. Avec ruse, nous parvenons à leur soustraire des couvertures, ils en sont amplement pourvus. Tous les matins au petit jour : alerte, prêt à partir au moindre signal.

 

Décembre 1917

 

Le 2, alerte, et cette fois nous quittons le cantonnement. Les voitures et les roulantes ne nous ont pas encore rejoint, nous ne mangeons que du « singe ». Nous faisons environ 4 kilomètres et à notre grande surprise le bataillon fait demi-tour et revient dans son cantonnement. Le canon tonne sans interruption dans le secteur anglais. Ça doit chauffer par là. Le 15 nous quittons Trefcon pour aller à Villévèque à 3 kilomètres.

 

Nous sommes encore plus mal cantonner. Rien que des baraques à jour. On fait du feu au milieu mais la fumée les rend presque inhabitable. Le 16 il tombe 0,30 de neige. Le lendemain il neige très fort. Il faut cependant organiser une position de résistance. Toute la journée, pose de réseaux et on creuse des tranchées.

      

     Les cuisines nous portent le repas de midi sur le terrain. Il n'y fait vraiment pas bon. Le 23, la gelée continue plus fort les routes [de]viennent impraticables.

 

C'est ainsi que nous passons la veillée et le jour de Noël. Nous ne nous plaignons pas trop, car nous savons que d'autres sont encore plus malheureux que nous. Si nous souffrons du froid, nous n'avons pas le souci des obus ni de la mitraille. C'est ainsi que nous arrivons au 30, date à laquelle nous quittons ces parages pour embarquer en pleine nuit et par un froid terrible à la gare de Foreste à sept kilomètres. Le train s'ébranle à trois heures du matin. Passons à Montdidier, Noisy-le-Sec, halte repas à Marle [?]. Débarquons en gare de Mailly [Mailly-le-Camp, à 32 km au sud de Châlons-en-Champagne] à minuit entre le 31 décembre et le 1er janvier 1918.

 

Année 1918

Champagne, Belfort, Picardie et la blessure, Réchicourt (54), Sarrebourg

Janvier 1918

Nous cantonnons dans des baraques à 4 kilomètres de Mailly. Il fait très froid, partout de la neige. Installation au camp. Le soir nous allons nous promener en ville. Dans la journée, ou sommes assez tranquille.

      Quelques exercices, vaccination contre la typhoïde. Le 15, dégel. Le 17, préparatifs de départ. Le 18, à six heures du matin nous quittons le camp pour embarquer à la gare de Mailly. Passons à Arcis-s-Aube, Troyes, Bar-s-Aube, Chaumont, Langres, Chalindrey, Vesoul, débarquons à [17 km, ENE de Vesoul] dans la Haute-Saône à 7 heures du matin par un temps superbe. Venons cantonner à Genevreuille Amblan [Amblans], petit village à 6 kilomètres de Lure. Nous sommes dans un château, très bien logé. Beau temps, on se sent revivre. Le 30, à 7 heures du matin départ. Traversons Lure, défilons devant des généraux, il y a ici un général commandant un groupe d'armées. Venons cantonner à La Côte environ 12 kilomètres.

Février 1918

Le 1er départ pour Plancher-Bas. Le temps s'est remis au froid. Le lendemain départ pour Roppes, passons à Valdoie (faubourg de Belfort) Offemont, Vétrigne. Dimanche 3 repos. Le 4, départ pour Bréchaumont, arrivons par un beau temps à midi. Ici nous sommes en Alsace reconquise aux environs de Dannemarie. Les habitants parle l'allemand, on ne peut se faire comprendre que très difficilement. Le cantonnement n'est pas des plus confortable. Jeudi 7, il dégèle, le bataillon est occupé à faire des tranchées aux environs du pays. Le bureau du bataillon, la C.H.R. [la compagnie hors rang] et la 4° compagnie sont à Bréchaumont les 2ème et 3ème compagnies sont à Guevenatten, la compagnie de mitrailleuses à Trauback [Traubach-le-Haut].

Aujourd'hui 19, continuation des travaux. Après quelques jours de dégel, le temps se remet à la gelée. Il fait très froid coucher sur les greniers. Un avion bôche après un vol audacieux parvient à s'approcher d'une de nos saucisses qui est près de nous et y met le feu au moyen de balles incendiaires. Le 12, une autre étant venue la remplacer subit le même sort. Le 14, même manœuvre. Heureusement que les observateurs étaient muni de parachutes. Il n'y a pas à déplorer d'accident. Leur descente nous amuse beaucoup. Le 27, toujours la même vie tranquille, travaux près de Falkviller, Soppe-le-Bas. Nous avons la visite de M. Clemenceau, ministre de la guerre. La population lui fait un bon accueil.

Mars 1918

 

Le 7 mars je quitte le bataillon pour partir en permission de dix jours. Je prends le train électrique à La Chapelle qui me mène à Belfort où je prends le train à 6 heures du soir. Je change à Lure, Aillevillers [Aillevillers-etLyaumont], Jarville. J'arrive à Toul à 5 heures du matin.

Image 9

     Le temps est au beau tout le temps de ma permission. Le 19, je repars par le même itinéraire. J'arrive à Bréchaumont à 7 heures du soir. Pas de cafard. On parle beaucoup d'un départ prochain. Les bôches ont commencé leur offensive contre le front anglais dans la région que nous avions organisé quelques mois auparavant. Le 29 départ à midi pour Foussemagne aux environs de Montreux-Vieux. Passons à Reppe. Le 30, nous cantonnons à Méziré à 12 kilomètres de Montbéliard. Le 31, jour de Pâques, repos. Grande pluie. Grand bal dans plusieurs cafés. Ici les civils n'ont pas l'air de trop se tracasser. Cette une population industrielle.

Avril 1918

Le premier avril, le bataillon embarque dans l'après-midi à la gare de Beaucourt près de Montbéliard. Nous passons dans cette dernière ville à 5 heures du soir. Nous suivons les admirables gorges du Doubs, le coup d’œil est vraiment magnifique, voici Beaume-les-Dames, pays très pittoresque. Besançon huit heures du soir. Dole 10 heures,

Auxonne 11 heures, Dijon 1 heure du matin, Sens 7 heures, Montreau [Montereau] 10 heures, Fontainebleau, 11 heures, Melun 11 heures 30, Bercy 12 heures, petite ceinture de Paris. Beaucoup de Parisiens du bataillon descende du train en cachette et vont faire un tour chez eux. Presque tous sont puni lorsqu'ils ont rejoint le bataillon.

Nous débarquons à Monsoult à 6 heures du soir le 2 avril. Nous venons cantonner à l'Isle-Adam à 9 heures du soir. En raison de l'obscurité profonde nous avons peine à trouver nos cantonnements. A notre réveil nous nous apercevons que nous sommes cantonné dans une joli petite ville, notre plus grand désir serait d'y séjourner quelque temps mais le lendemain de notre arrivée à midi départ pour Vallengougard. [Vallangoujard, 10 km au nord de Pontoise]

Le 4 départ pour Fay-les-Etangs. Le 5, continuation de la promenade sentimentale, cantonnons à Viviers-Danger. Le bataillon doit y cantonner quelques temps mais le lendemain, nous apprenons la grande route, traversons Beauvais presque 30 kilomètres. Le bataillon cantonne à Haudivillers. La fatigue est très grande, car voilà 110 kilomètres que nous avons parcourus en 4 jours. Toutes les voitures repartent le lendemain. Nous devons embarquer en camion un de ces jours.

Le 12, le bataillon prends les camions à six heures du matin, repassons à Beauvais, prenons la grande route de Calais, passons à Granviller [Grandvilliers], Poix [Poix-de Picardie], où il y a un joli aqueduc très renommé. Nous débarquons à Bovelles près d'Amiens à 7 heures du soir. Nous sommes très fatigué de cette longue journée en camions, entassé les uns sur les autres et privé de toute nourriture. Nous sommes de nouveau au milieu des Anglais. Pour passer la nuit nous sommes très mal. Le cantonnement est tout à fait restreint, les routes ne sont qu'un long cortège d'émigrés qui fuient la bataille qui fait rage aux environs d'Amiens. La même nuit c'est à dire le 13, alerte. Nous remettons l'armoire à glace sur le dos et venons cantonner à Talmas. Passons à Ailly-sur-Somme, prenons la grande route de Doullens à Villers-Bocage et arrivons au cantonnement à midi, environ 30 km. La fatigue s'est fait durement sentir.

Le lendemain 14, départ pour Mondicourt dans le Pas-de-Calais après avoir fait 25 km. Il fait très froid. Nous sommes à 25 km d'Arras et 10 de Doullens. Tous les jours nous sommes en alerte. Nous sommes cantonnés au milieu d'Anglais. Les habitants sont très heureux de revoir des troupes françaises, voilà plus de trois ans qu'ils n'en ont vu. C'est dans ce village qu'est la fabrique de chocolat « Ibled ». Aujourd'hui 19, température très froide. L'exercice reprend, notre commandant ne veux pas nous laisser engourdir les jambes.

Le 22, ma compagnie et la C.M. [la compagnie de mitrailleuses] quittent le cantonnement pour aller faire des travaux et être en réserve des Anglais. Passons à Pas [Pas-en-Artois], Hénu, Souastre, et venons nous établir dans la plaine à 1 km de Foncquevillers et à 2 de Bienvillers [Bienvillers-aux-Bois]. Nous couchons sous nos toiles de tente. Les batteries anglaises sont devant nous, le secteur parait très agité car l'artillerie fait rage. Les tanks anglais passent à côté de nous, il paraît qu'ils font le ravitaillement. Le 24 nous rentrons à Mondicourt bien fatigué. La matinée du 25 repos. Le soir l'exercice reprend, temps froid. Le 27, le bataillon quitte Mondicourt pour aller à Courcelette à 6 km [en fait, Couturelle]. Ici ce sont des Highlanders vêtus de leur costume national jupe courte et bonnet à ruban. Ils donnent à notre honneur un concert de cornemuses.

Le 28, départ du train régimentaire. Nous reprenons les camions le 29. Passons à Doullens, St-Pol [Saint-Paul-sur-Ternoise] et nous couchons à 20 km de St Omer près d’OuveVirquin. Nous reprenons les camions le lendemain matin à 8 heures. Grande pluie. Traversons St Omer, Arques. Débarquons à 6 km de Cassel, dont nous apercevons le mont. Il y a des moulins à vent un peu partout.

Mai 1918

 

Le 1er mai départ pour Zermezeele. Le 2 départ, traversons Cassel, arrivons au camp anglais de «Steenworde». Le canon ne gronde pas bien loin. Quelques obus viennent nous apprendre que nous sommes à proximité du front. Il n'y a plus de civils dans le pays. Ce qui est révoltant c'est le pillage en règle, Anglais et Français rivalisent d'ardeur à ce triste travail. Nous y passons 24 heures.

Le 3 départ du bataillon. Passons à Godewaersvelde, le mont des Cats : couvent de trappistes : est devant nous. Il y a encore quelques rares habitants qui nous offrent du vin bouché à 1 franc la bouteille. Ils se hâtent car il faudra partir et laisser tout. Les batteries lourdes sont devant le pays. C'est l'arrière de la bataille. Nous sommes devant les monts, 5 à 6 km à droite de Poperingue [Poperinge ou Poperinghe] en Belgique. Le 4, nous montons en ligne en soutien du 106ème B.C.P. Nous relevons ce qui reste du 156° d'Infanterie. Nous sommes dans de petites tranchées sans abri et beaucoup de marmitage. Le village de Locre [Loker/Locre, en Belgique, entre le Mont Rouge et le Mont Kemmel] et le mont Rouge sont à notre droite, la hauteur, du Scherpenberg où le bataillon est installé est soumis à de violentes rafales d'artillerie. Absolument rien pour s'en protéger, cependant il faut rester là.

La pluie se met de la partie et vient inonder nos trous, nous nous vautrons dans l'eau et dans la boue, il est impossible de se montrer sans être repéré, les bôches occupants le point culminant du mont Kemmel. Les corvées de soupe sont très très pénible, il faut 6 à 7 km sous le bombardement, aussi c'est en tremblant qu'il faut y aller, ne sachant si on en reviendra. En arrière dans toutes les fermes c'est un désordre indescriptible, les habitants ayant fui en toute hâte laissant tout, même les animaux dans les écuries. Il n'est pas rare de voir des vaches mourir de faim ou agonisant sous l'effet des gaz. J'ai vu même des habitants probablement surpris par le bombardement tués sur le seuil de leur porte. De tous côtés c'est des chevaux tués, en pleine putréfaction. Par endroit l'air est vicié à tel point qu'il faut se boucher le nez.

Le 5 au matin les bôches bombardent le bataillon avec des obus à l'ypérite, principalement sur le P.C. qui est évacué presque entièrement. Il n'y reste que le commandant est un secrétaire. 200 poilus du bataillon sont ainsi évacué mais beaucoup ne reviendront plus, tellement ces gaz furent dangereux.

Le 6, je suis envoyé au poste de commandant pour remplacer le cycliste qui est évacué. Triste spectacle à mon arrivée. C'est à regret que j'ai quitté mes camarades lesquels me témoignaient beaucoup de sympathie.

     Durant tout le séjour en secteur je suis employé à faire la liaison soit avec les compagnies, le colonel et quelquefois au général. Presque tous les jours je vais à « Abeelle » [Abeele] ou est le train régimentaire. Ce n'est pas le filon car par tous les bombardements il faut marcher. Toujours grand marmitage de part et d'autre. Le mont Kemmel est devant nous. Le 17 nous prenons la place du 106° B.C.P. qui est à Reninghelts [Reninghelst]. Le poste de commandement est installé dans une ferme sans abri, nous craignons d'être bombardé. Les compagnies sont dans des trous aux environs du pays.

Le 23, le bataillon est relevé dans la nuit par le 102° régiment d'Infrie. Au moment où la relève arrive, les bôches bombardent le P.C. avec des obus incendiaires. Le feu prend aux quatre coins, heureusement que tout le monde était dehors, sans quoi il y aurait eu des victimes.

Nous venons cantonner dans des tentes anglaises à «Abeele». Quelle joie et quelle soulagement de nous sentir enfin hors de danger. Le 24 au matin nous prenons les camions sur la grande route de Poperinghe.

     Nous débarquons à Téteghem, où nous cantonnons. Nous sommes à 6 km de Dunkerque et à 4 km de Malo-les-Bains. Nous sommes très bien. Tous les jours, je vais à Dunkerque en bicyclette, je fais le commerce de journaux. Le 30, préparatifs de départ. C'est avec joie que le soir nous apprenons qu'il y a contre-ordre.

Juin 1918

Le 2 prise d'armes à Coudekerque pour les trois bataillons de chasseurs 106, 120, 121. Le colonel fait faire l'appel des tués. Ce fut impressionnant. Il me remet ma troisième étoile à ma croix de guerre. Le mardi 4 à grand regret nous quittons ce gentil cantonnement pour embarquer à la gare de «Bergues». Nous pensons que nous allons aller prendre un secteur tranquille, probablement dans les Vosges. Mais il n'en fut pas ainsi. Le train s'ébranle, passons à Dunkerque, Calais, Boulogne, nous longeons la mer pendant tout le temps du trajet, c'est un joli coup d'œil.

Nous débarquons à « Marseille-en-Beauvaisis » à 5 heures [du] matin le 5 juin. Nous sommes à 17 km de Beauvais. Quelle surprise désagréable de voir un convoi de camions qui nous attendais. A 7 heures nous embarquons, passons à Froissy et débarquons Caply. Le 9, à deux heures du matin alerte. Le bataillon quitte le cantonnement à quatre heures, nous prenons les emplacements qui nous sont assigné en cas d'attaque dans un bois près de Tartigny. Le soir nous retournons à Caply. Le lendemain le bataillon quitte de nouveau ce village pour aller à « Brunvillers-la-Motte », environ 15 km. Arrivons à 9 heures du soir le 10.

Le pays est complètement évacué depuis la veille. Ça sent la grande bagarre. Étant continuellement sur les pas du commandant, j'ai entendu que le lendemain la division devait prendre part à une grande attaque à droite de Montdidier. C'est la contre attaque Mangin qui se prépare.

Le 11 à 4 heures du matin alerte, cette fois nous y allons. Les poilus ne le savent pas. Comme ravitaillement un quart de jus. Passons à Maignelay, Coivrel, nous approchons des batteries qui font presque silence. Nous arrivons devant les ruines fumantes de Tricot à 9 heures du matin. Le bataillon prend la formation d'attaque à la sortie du village en colonne d'escouade les uns derrière les autres. Je laisse là ma bécane. Le secteur est tout à fait calme, on s'aperçoit que le secteur de notre côté est en pleine pagaille. Les troupes qui l'occupent (18° de ligne) ont subi deux jours d'attaque et paraissent très décimé.

L'artillerie doit faire défaut car nous partons à l'attaque sans préparation d'artillerie. Seul les avions bôches nous survolent pour nous repérer. Les tanks font leur apparition à avance à notre hauteur. Comme le temps est clair (10 heures du matin) l'artillerie ennemie commence à nous arroser généreusement causant des pertes dans nos rangs. Je suis envoyé de tous côtés porter des plis, ça commence à chauffer. Nous approchons de Méry-Courcelle dans les champs de blé hauteur d'hommes.

Un obus tombe sur la liaison du bataillon blessant le commandant, tuant le lieutenant adjoint Grimbert, le caporal Chautard, me blessant de six éclats et mettant hors de combat ce qui reste de la liaison. Je saute dans un trou pour m'abriter et m'aperçois que le sang inondait mon pantalon, il y avait une blessure béante. Mes camarades me font un premier pansement. J’attends environ une demi-heure et ne voyant pas de brancardiers je me mets en route pour l'arrière. Le premier poste de secours est à Tricot, il faut faire 2 km à découvert, traverser le bombardement qui fait rage et le tir des avions. Je craignais encore d'être blessé à nouveau, ou peut-être pis la mort.

Le courage me donnait des forces. Mon pansement étant tombé le sang continuait à couler et la marche me fatiguait énormément. Après bien des péripéties, j'arrive enfin exténué au poste de secours. Un major me fait mes pansements, et voyant que les obus venaient jusqu'ici, et pas d'ambulances, je rassemble mes forces et de nouveau je reprends la route.

Je fais ainsi deux kilomètres et je trouve les premières ambulances qui me conduise à Ravenel où est installé une ambulance dans la cour d'un château. Là il faut attendre la piqûre antitétanique avant d'aller plus loin. Il y a tellement de blessés, que la nuit vient sans que je n'y sois passé. Il me faut passer toute la nuit près d'un arbre sans couverture et sans aucune nourriture. Le lendemain 12, départ à 7 heures en gros camion pour Beauvais. Passons à St-Just-en-Chaussée, Clermont, environ 50 km. Je me sens très fatigué car les routes sont très mauvaises et les ressors du camion pas tendre.

De la gare où j'allais embarquer on me dirige sur un hôpital de la ville (lycée). Je [ne] me sens pas très rassuré, la nuit précédente des bombes sont tombées à proximité. Les blessés descendent dans les caves. Là, je fais mon premier repas depuis 24 heures. Je le trouve excellent. Un major me pique contre le tétanos et me refait mes pansements. Je fais tout mon possible pour me tirer d'ici, j'y réussis. Le soir je prends le train sanitaire à 10 heures, le 13 à 4 heures du matin je débarque à la gare de la Chapelle à Paris. Après le triage, je suis dirigé sur l'hôpital canadien de St-Cloud.

Le personnel ne parle pas français mais comme je suis bien soigné je m'y plais très bien. Le 14, je passe à la radio, on me trouve un éclat à la main gauche et un à la cuisse droite presque à l’aine. En tout j'ai 6 éclats, un sur chaque biceps des bras, un au-dessus du jarret gauche et un au-dessus de la cheville droite. Je ne souffre pas trop. Je suis heureux d'être dans un bon lit. Le moral est excellent.

 

Le 16 à onze heures je passe sur le billard pour l'opération. Je suis endormi au chloroforme, je ne sens absolument rien pendant l'opération, mais en me réveillant je suis très malade. Je sens que j'ai besoin de repos. Mais toute l'après-midi (c'est justement dimanche) je reçois la visite de ma cousine Berthe et de mon cousin Auguste-Pierre de Boulogne-sur-Seine. Je suis obligé de tenir conversation ce qui me fatigue beaucoup. Le major m'a donné l'éclat d'obus qu'il m'a extrait de la jambe. Quant à celui de la main il n'a pas été extrait, il y est toujours. La plaie de la cuisse est de la grosseur d'un œuf de poule dans laquelle on y [a] fixé un drain ce qui permet d'y faire constamment un lavage à l'eau oxygénée ce qui me fait beaucoup souffrir.

Le 24, étant en bonne voie de guérison on m'embarque à la gare Montparnasse pour la Bretagne. Je passe à Versailles, Rambouillet, Chartres, Nogent le Rotrou, Le Mans, Laval, Vitré, Rennes, j'arrive à Fougères le 25 à six heures du matin. Je suis dirigé sur l'hôpital 29 qui est installé dans un asile de sourds et muets.

 

Juillet 1918

 

Je suis très bien. Ce sont des religieuses qui nous soignent. Je suis mon traitement pendant un mois, et dans la suite je suis occupé à des travaux de jardinage ce qui me plaît beaucoup.

Août 1918

         

  Vers le 25 août je suis envoyé en convalescence de vingt jours. Le début de celle-ci se passe bien.

Septembre 1918

 

Mais vers le 10 septembre tout le village est évacué, c'est l'attaque américaine sur la pointe de St Mihiel en perspective. Mes parents sont au camp de Bois l'Evêque, je reste à la maison pour soigner les bêtes. Ce n'est vraiment pas agréable. La veille de mon départ mes parents reviennent. Le 17 je quitte Manonville. Je prends le train à Toul à minuit, j'arrive à Paris à minuit.

Je devais me rendre à Creil pour me faire équiper. Arrivant à la gare du Nord on me fait faire demi-tour. Je reprends le train pour Is-sur-Tille où j'arrive le 19 dans la matinée. De là on me renvoie à Neufchâteau où j'arrive le vingt. Là je suis équipé. Je suis dirigé sur le C.I.D. de ma division qui est à Vitrimont. Je descends à Rosières-aux-Salines et j'arrive à Vitrimont à 8 heures du soir. C'est dans ce village que j'ai été blessé le 26 août 1914 étant au 79° d'Infanterie. J'ai reconnu l'endroit exactement.

Octobre 1918

 

Le 3 octobre je suis désigné pour aller en renfort au bataillon qui en ligne à gauche de Bures, à quatre kilomètres de Bathelémont, pas bien loin de l'étang de Paroy. Je suis affecté à la 2° compagnie. Le secteur est tout à fait tranquille. Quelques obus mais il y a de bonnes sapes. Nous sommes relevés par le 106° B.C.P. dans la nuit du 7 au 8. Il pleut très fort. Nous venons au repos à «Einville». On y est très bien. Pas grand travail. La nourriture est excellente.

Le 13, je quitte Einville pour venir à Lunéville faire un stage de pionniers. Je suis dans la caserne du château, c'est la vie rêvée. Ce stage doit durer 20 jours.

Novembre 1918

 

Le 3 novembre je rentre au bataillon qui de nouveau est à Einville. Ici c'est un grand remue-ménage. Tout le village est bondé de troupe, constamment il arrive de l'artillerie. C'est une grande attaque en perspective. Le 5 tout le bataillon monte en ligne pour faire un coup de main. Nous sommes allés à plus de 4 km dans les lignes bôches, nous n'avons reçu que deux coups de fusil. Le petit jour nous trouve dans leurs lignes. Nous étions devant Réchicourt. Nous rentrons à Einville dans la matinée content d'en être quitte à si bon compte.

Le 7 nous apprenons que l'armistice est signé mais c'est un faux bruit. Nous vivons dans de longs jours d'attente, les préparatifs continuent, des canons arrivent sans cesse ; l'attaque ne peut tarder. C'est avec anxiété que nous lisons les journaux. Nous voyons la fin approcher mais nous craignons qu'il ne fallusse monter à l'assaut encore une fois avant.

Enfin le 11 novembre, à notre réveil nous apprenons avec une joie indescriptible que l'armistice est signé. Enfin nous voilà délivré de ce terrible cauchemar : c'est fini. Quel soulagement, 11 novembre 1918, date à jamais mémorable pour le poilu qui depuis août 1914 souffre et attend l'heure de la victoire si chèrement payée. Adieu à la misère, à la vermine, aux nuits de veille, aux intempéries, aux privations, aux angoisses, aux bombardements, à l'assaut, à la menace permanente de mutilation ou de mort. Maintenant en avant pour l'occupation. Nous allons faire voir aux bôches que la France est encore là.

Toute la journée l'unique cloche d'Einville ne cesse de sonner. La fanfare se fait entendre. A 11 heures dans l'église incendiée du village, l’aumônier divisionnaire célèbre un « Te Deum ». Dans une péroraison enflammée du plus pur patriotisme, il exalte la gloire du « poilu de France ». Le feu a cessé sur toute la ligne. Notre joie est indescriptible, c'est le délire, musique et fête de toutes sortes. Le soir retraite aux flambeaux qui est suivie de toute la population civile et militaire. Le village disparaît dans la lueur et la fumée d'innombrables fusils qui partent de tout côté. Je crois ne pas me tromper en disant que ce fut la plus belle journée de ma vie.

Enfin le 12 nous montons en ligne en plein jour pour relever le 106°. Ce n'est plus la Guerre, j'ai du mal à y croire. Nous devons y rester jusqu'au 17 pour permettre aux bôches de se retirer. Le 14, 15, 16, il passe continuellement des prisonniers français, anglais, italiens, roumains que les bôches viennent de renvoyer. Ils font peine à voir tellement ils sont en guenilles et amaigri. Voilà plusieurs jours qu'ils sont en marche, avec nourriture que ce qu'ils trouvent sur leur chemin.

Demain 17, nous devons partir de l'avant. Départ à 7 heures du matin, plein d'enthousiasme, passons à Bures, traversons l'ancienne frontière à Réchicourt, exactement à la même place où j'avais reçu le baptême du feu en 1914. Le commandant rassemble le bataillon, fait jouer la « Marseillaise » et la « Sidi Brahim », il adresse un suprême hommage aux chasseurs du 120° tombés pour la défense de la patrie et de nouveau nous allons occuper les territoires de Lorraine.

Passons à Lezey, Donnelay, cantonnons à Guéblange [Guéblange-les-Dieuze]. Partout nous recevons un accueil enthousiaste. Les bôches ne sont parti que du matin. Le18 départ à 6 heures du matin. Cantonnons à 9 km de Sarrebourg, à «Bisping». Le 22 départ à 7 heures du matin, passons à Fénétrange, cantonnons à Sarre-Union, 25 km d'étape. Il fait très froid, il gèle très fort. Le lendemain départ. Cantonnons à Lemberg à 7 km de Bitche. Nous sommes très bien reçu, les habitants ne parlent presque pas le français. Le bataillon quitte Lemberg le 30, passons à Rhorback [Rhorbach-lès-Bitche], couchons dans un petit patelin.

Décembre 1918

 

1er décembre, traversons la frontière bavaroise à 10 km de Sarreguemines. Les habitants ne paraissent pas enchantés de notre arrivée, par crainte, ils nous donnent tout ce que nous leur demandons. Le 2, départ pour Hombourg [Homburg] dans le Palatinat. Petite ville industrielle de 8000 habitants. Le bataillon cantonne dans un asile d'aliénés, nous sommes très bien. Nous sommes les premières troupes françaises qui passons ici. Sur les routes nous marchons en éclaireurs avec des automitrailleuses.

Départ le 4 pour Kaiserslautern où nous arrivons à la nuit tombante. Chacun a son lit, les habitants sont au plus petit soin pour nous. Le lendemain nouveau départ. Après deux jours de marche, nous arrivons à «Marnheim» [à 28 km au NE de Kaiserslautern] où nous devons cantonner. Quel beau cantonnement. Chacun sa chambre et son lit, nous jouissons enfin des fruits de la victoire. Ce pays se trouve à 30 km de Vorms [Worms, sur la rive gauche du Rhin] et à 30 de Kaiserslautern. Les habitants nous fournissent tout ce dont nous avons besoin. Le 24 au soir, alors que les gâteaux se faisaient pour fêter Noël, nous quittons ce village pour revenir sur nos pas. Le jour de Noël repos. Le 26 départ, les routes sont tellement glissantes que l'on ne tient pas debout. Le 29 nous arrivons à Niederwürzback [Niederwürzbach, aujourd'hui intégré à la ville voisine de Blieskastel], très fatigué. Heureusement que j'ai un bon lit pour me reposer. Continuation du voyage. Le 31 départ à 7 heures, passons la frontière lorraine à 9 heures à 4 km de Sarreguemines, traversons cette ville et venons cantonner à 8 km entre Sarreguemines et Sarrebruck à «Grosblitersdorf» [Grosbliederstroff, en France].

 

Année 1919

 

Stationnement à Metz et Bitche, l’occupation en Allemagne et la libération

 

Janvier 1919

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Le jour de l'an repos. Le 2 départ, passons à Forback [Forbach] sur la route de Sarrebrück à Metz. Cantonnons à Freimengen [Freimingen : nom allemand de Freyming, commune actuelle de Freyming-Merlebach] à 9 km de St-Avold. Grandes usines. Logeons dans les cités, un bon lit. Le 5 nous arrivons à Nouilly près de Noisseville à 7 km de Metz. Demain nous devons aller à Metz recevoir la fourragère.

Le 6, sur la place de l’esplanade, le maréchal Pétain nous remet la fourragère. Après un défilé impeccable nous regagnons nos cantonnements à Nouilly. Le 8, le bataillon vient s'installer dans les casernes de « Ban-st-Martin » à Metz. Nous n'y sommes pas trop mal. Il fait beau, il gèle. Le 12, je pars en permission de 20 jours.

 

Février 1919

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A mon retour dans le début de février, je descends à la gare régulatrice de Woippy [Woippy] et de là je gagne Ban-st-Martin j'arrive à 9 heures du soir. A ma grande surprise le bataillon était parti. Il m'a fallut chercher un gîte pour la nuit.

A mon réveil, je suis retourné à Woippy pour savoir où était le bataillon. Là j'apprends qu'il était à Hagondange. Croyant qu'il n'y avait pas bien loin, je me suis [mis] en route. La neige étant tombé la nuit, la marche est pénible. Je passe à Maizières-Lès-Metz, et j'arrive à Hagondange vers 11 heures du matin. Là, j'apprends que ma compagnie est à Amnéville, gros bourg industriel distant de deux km. Nous sommes très bien. Chacun a sa chambre et son lit. C'est la vraie vie rêvée.

Mars 1919

 

Le 2 mars nous quittons ce gentil cantonnement pour venir embarquer à Metz-Sablons. [Metz-Sablon : gare de triage et de marchandises] Dans la soirée nous débarquons à Sarreguemines.

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    Nous venons cantonner à «Neunkirch», faubourg de Sarreguemines. Nous y restons trois jours et nous venons nous installer dans une caserne de cette ville. Nous sommes très bien et pas trop malheureux. La discipline est beaucoup relâchée, ça sent la dislocation. En effet le bruit commence à circuler. Le 120° étant de formation récente est appelé à disparaître. La démobilisation a déjà fait des vides dans les rangs. Beaucoup, et presque toutes les jeunes classes, sont parti dans d'autres bataillons d'active.

Avril 1919

 

      Avril se passe ainsi, on ne fait absolument rien.

 

Mai 1919

 

Enfin le 5 mai c'est la dissolution. C'est avec peine que nous nous quittons. Je suis affecté au 19° B.C.P. qui est ici. J'étais content de ne pas changer de garnison, mais pour comble de malheur je suis versé à la 5° compagnie qui est détaché à Bitche. Le même soir je m'y rends en compagnie d'une douzaine de camarades. Il paraît que c'est la plus mauvaise du 19°. Elle cantonne dans la caserne Tissier [caserne Freiherr von Falkenstein, construite en 1898 pendant l'annexion allemande, rebaptisée en 1918 caserne Teyssier, du nom du défenseur de la ville en 1870]. Tous les jours exercice et garde.

Juin 1919

C'est avec impatience que je passe tout le mois de juin attendant sans cesse la démobilisation qui est arrêtée depuis le mois de mars.

Juillet 1919

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Bref nous voici au 14 juillet. Après l'avoir passé assez agréablement nous apprenons que la compagnie doit rejoindre le bataillon à Sarreguemines. Le 15 au matin il faut de nouveau mettre sac au dos, faire deux étapes pour arriver dans cette dernière ville. En arrivant j'apprends que la démobilisation reprend. Je fais tout le nécessaire et après bien des péripéties le 1er juillet à midi je quitte définitivement l'armée.

Enfin c'est fini ce terrible cauchemar commencé le 1er août 1914 pour ce terminé le 19 juillet 1919.

Ainsi est fini ce petit ouvrage qui résume bien faiblement ce grand drame. Il est pour moi d'un prix inestimable. Durant ces cinq longues années chaque jour j'ai fait presque l'impossible pour que chaque journée ait sa place marquée, soit de quelques petites joies, hélas le plus souvent dans la souffrance et les privations.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après la guerre et sa libération en juillet 1919, Lucien s’est installé à Manonville chez ses parents. Avec eux, Il a développé leur exploitation agricole.

En Novembre 1922, Lucien a épousé Lucie Loppinet. Ils ont fondé ensuite une famille avec cinq enfants : Aimé, André, Jean, Suzanne et Marie.

 

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Lucien, Lucie et leurs cinq enfants à la fin de la guerre suivant en 1944

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Lucien est décédé le 15 janvier 1953 à Manonville.

Voici les textes des citations qui sont venues me récompenser. Elles sont au nombre de trois. La 1ere étant perdue, je me bornerais à ne reproduire [que] les deux autres :

Première citation :

Guenser Marie Jean Lucien, chasseur, 3° compagnie :

« Chasseur brave et dévoué, se distinguant en toutes circonstances. Pendant les attaques du 8 juillet 1917, à repoussé l'ennemi avec un acharnement et une bravoure remarquable et a contre-attaqué avec ardeur »

Le capitaine adjt major Hervieux commandant le 120° bataillon de chasseurs.

Deuxième citation :

Guenser Marie Jean Lucien, chasseur de 1ere classe :

« Excellent chasseur d'une bravoure intrépide. Pendant les opérations de mai 1918 a assuré les fonctions de cycliste du chef de bataillon sous les bombardements les plus violents. Déjà deux fois cité à l'ordre »

Le chef de bataillon Humbel commandant le 120° bataillon de chasseurs.

 

Enfin le 7 octobre 1921, mon nom figurait au « Journal Officiel » pour l'attribution de la médaille militaire.

 

Annexes

Atterrissage forcé d’un avion français à Manonville Août 1915

 

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Gros plan du moteur rotatif et de l'avant de la nacelle du Caudron G 4 n° C 1102 - Au cours d'une mission de reconnaissance photo, en compagnie du Ltt Pierre Guillemin, le Sgt Drouhet naviguait à 2200 mètres et à 4 km à l'intérieur des lignes adverses. Soudain, un obus de DCA explosa à l'avant du moteur droit. Les dégâts sont considérables avec l'hélice déchiquetée, le capot moteur, en aluminium, volatilisé, le carter moteur enfoncé, un cylindre arraché et les autres percés par les éclats - Le réservoir d'essence, dessoudé par le souffle, laissait écouler de l'essence en flammes - Les mats supportant le moteur étaient sectionnés et l'aile criblée d'impacts de schrapnells - Seules les commandes de direction et de profondeur étaient - le pilote n'a pas été blessé et a réussi à poser son appareil dans les environs de Manonville (Meurthe-et-Moselle), le 12 août 1915 - L'observateur a eu moins de chance et a été grièvement blessé par des éclats d'obus dont l'un lui a sectionné l'artère du bras gauche - Il décédera des suites de ses blessures, après l'amputation du membre, à l'ambulance 3/64 de Belleville (Meurthe-et-Moselle), le 18 août 1915 - Les traces sur la partie avant de la carlingue sont celles laissées par les éclats et par le sang de l'observateur

 

L'équipe des mécaniciens de l'escadrille C 17 pose en compagnie des soldats chargés de sa garde - Ce cliché a probablement été prise le lendemain de l'atterrissage de l'avion, près de Manonville (Meurthe-et-Moselle) - Le camion au premier plan a amené les hommes depuis Toul, pour l'aéronautique militaire, ils étaient désignés par le terme "Tracteurs" –

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L’avion passe dans le village de Manonville

 

 

 

 

Photographies de Manonville durant la guerre de 1914-18

 

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Société des trompes de Manonville en 1905

Beaucoup de futurs soldats : Lucien en bas à droite, Constant Lemoy en haut à droite

Y figure également Alcide Lemoy et Omer Guenser tous les deux Morts pour la france

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Sauf-conduit utilisé en novembre 1914 par Louis Guenser, père de Lucien pour vaccer à ses occupations professionnelles dans les zones occupées par l’armée francaise.

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La famille Lemoy à Manonville 1915 (en haut à gauche Jeanne (le petit guin de Lucien) et sa mère et Marie en milieu assise) avec des soldats francais en repos.

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La gare de Manonville en pleine activité durant la guerre

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Enterrement à Manonville des soldats gazés du 8 avril 1917

 

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Photographies de Martincourt, St-Jean, St-Jacques Rehautmoulin

 

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Soldats au repos et à la toilette en automne 1914Image 5

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Lettre de Lucien à ses parents le 18 Avril 1911

 

 

Lucien durant son service miltaire de 1910-1912 était souffrant pendant la fête de Pâques.

 

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Livret militaire de Lucien

 

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